Eco-textile #6 : Comment l'éco-conception peut améliorer la fin de vie des produits textiles ?

Eco-textile #6 : Comment l'éco-conception peut améliorer la fin de vie des produits textiles ?

Comprendre ce que deviennent nos textiles pour faciliter leur seconde vie

Dans l’article précédent, j’interrogeais vos connaissances de la fin de vie des produits textiles. D’après vos réponses, 60% d’entre vous sont convaincus que 10 à 50% de vos textiles sont recyclés en nouveaux vêtements. Mais au contraire, d’après la fondation Ellen MacArthur, moins de 1% des textiles utilisés pour fabriquer des vêtements est recyclé en vêtements neufs.

Ce nouvel article est fondé sur une interview de Laurence Ermisse, responsable collecte et collectivités chez Refashion, l’éco-organisme en charge des TLC usagés (Textiles, Linge de maison et Chaussures). Grâce à nos échanges, je vous présente ici les problématiques liées à la fin de vie des produits textiles et le rôle de l’éco-conception dans leur résolution.

Mais que fait Refashion exactement ?
Refashion est en charge de la Responsabilité Elargie du Producteur (REP) pour le compte de plus de 5000 entreprises de Textiles, Linge de maison et Chaussures, afin d’assurer la fin de vie de leurs produits mis sur le marché grand public (ici). En 2019, l’éco-organisme a collecté 248 547 tonnes de textiles et chaussures usagés, soit 38% des textiles mis sur le marché cette année-là. Après collecte, les vêtements sont envoyés dans un des 63 centres de tri conventionnés, qui les redirige ensuite vers les filières appropriées de valorisation. En 2019, 57,8 % étaient destinés à la réutilisation tandis que 33,5 % partaient en recyclage et 8,2% en valorisation énergétique. Parmi ses autres activités, Refashion soutient des projets de R&D dans le domaine du recyclage et s’engage dans la prévention aux gestes de tri pour les consommateurs via un soutien aux collectivités locales ainsi qu’à l’éco-conception pour les entreprises, pour une filière 100% circulaire !

A quelles problématiques fait face aujourd’hui l’éco-organisme ?
Sachant que seuls 38% des vêtements sont collectés, on peut imaginer que la collecte des produits peut être un enjeu pour Refashion. Cependant, comme l’affirme Laurence, « la filière a la capacité de collecter une plus grande quantité mais il faut en parallèle s’assurer que les débouchés de réutilisation et de recyclage existent derrière ». Une problématique majeure de Refashion est donc de développer au maximum la réutilisation et les solutions de recyclage, mais aussi et surtout les marchés associés.

Actuellement, sur les presque 60% de textiles et chaussures qui partent en réutilisation, seulement 5% sont revendus sur le territoire national. Ce chiffre est le reflet de l’écart entre l’offre et la demande de textiles de seconde main. Bien que le marché des friperies soit en développement en France, la majorité des français privilégie toujours les vêtements neufs. Il est donc nécessaire d’aller sur des marchés internationaux pour 95% des textiles de seconde main.
D’autre part, sur les 33,5% de textiles et chaussures orientés vers le recyclage, plus de 70% sont traités à l’export. Pour encourager les entreprises françaises à développer les technologies de recyclage textile, Refashion lance des appels à projet depuis 2008. Ils financent ainsi depuis plus de 10 ans, les entreprises impliquées en R&D sur des process de recyclage à maturité technologique élevée (voir le magazine Innovation). Des solutions existent donc, mais comme le souligne Laurence : « Il est difficile d’investir dans des technologies de recyclage si le marché n’existe pas. »

Aujourd’hui en France, il y a encore un déficit de demandes des entreprises en matières recyclées. Le marché a du mal à se développer car la matière recyclée et donc le prix d’une fibre recyclée reste souvent plus cher qu’une fibre vierge. Il est nécessaire de changer les pratiques des entreprises pour développer les débouchés, et donc les solutions de recyclage à plus grande échelle. Refashion ainsi que les pouvoirs publics sont aujourd’hui moteurs du changement : l’Ademe a lancé un appel à projets « Investissements d'Avenir Flash Textile/Chaussure » à hauteur de 20 milliards d’euros.

Comment fonctionnent les process de tri ?
Chaque centre définit ses catégories de tri en fonction du cahier des charges de ses clients industriels. Ainsi, en fonction du carnet de commande, le tri qui est réalisé manuellement, peut aller jusqu’à 300 catégories différentes. Que ce soit pour de la réutilisation ou du recyclage, il peut se faire par type de vêtement (robe, chemise…), par couleur, par qualité… et jusqu’à un haut niveau de détail, en fonction de chaque demande.

Lorsque l’opérateur trie un produit, ce sont principalement ses caractéristiques visuelles qui définissent sa filière de fin de vie. Et il est souvent difficile d’identifier la composition matière : les étiquettes peuvent manquer ou être erronées. Mais le tri matière des textiles est une brique indispensable de la chaîne de recyclage. Il y a donc un gros enjeu dans les process de tri pour reconnaitre la matière. Lorsque l’on y parvient, les matières sont dirigées vers les filières de recyclage spécifiques, où certains débouchés sont plus faciles à trouver, comme pour le polyester recyclé.
Afin de répondre à cet enjeu, des études sont actuellement réalisées pour mettre en place des technologies mécanisées comme le tri optique ou la spectroscopie qui pourront reconnaitre les différentes matières.

Comment peuvent s’impliquer les marques dans la fin de vie de leurs produits ?
Pour éviter au mieux la complexité du tri, il est nécessaire que les marques prennent en compte la fin de vie de leurs produits lors de leur conception. Pour cela, une étude menée par Refashion en 2014 a identifié les perturbateurs et facilitateurs au recyclage des textiles et linges de maison. Elle liste des pistes pour éco-concevoir les produits textiles afin d’améliorer leurs recyclage (ici). Un exemple de mesure à prendre en compte dans la conception est de prévoir la séparation de matières. Comme l’indique Laurence, « pour les chaussures, il s’agirait de prévoir le démantèlement (semelles, tige, …), et pour les vêtements, celui des « points durs » par exemple ». En effet, un jean est composé de rivets, boutons, zip… appelés « points durs » qui ne peuvent passer dans la machine d’effilochage. La partie supérieure du jean est donc jetée pour ne recycler que les jambes, un gâchis de matière qui pourrait être évité si le démantèlement était inclus en amont. Un critère parmi d’autres, que les marques qui s’engagent dans des projets R&D de recyclage prennent de plus en plus en compte.

D’autre part, n’oublions pas que les marques financent la prise en charge de leurs produits par les éco-contributions (ici). D’ailleurs, pour les inciter à proposer une offre éco-conçue, Refashion a mis en place un système d’éco-modulation : le coût de l’éco-contribution diminue si les textiles et chaussures mis sur le marché intègrent des critères de durabilité, des fibres recyclées ou des facilitateurs au recyclage. En 2019, une augmentation de 17 à 57 millions de produits éco-modulés a été enregistrée en 1 an, ce qui représente 2,16% du marché.

Pour inciter davantage les marques à intégrer l’éco-conception dans leurs activités, Refashion a lancé en septembre sa plateforme Eco design. Ce site a pour objectif d’informer et d’accompagner les équipes Produits des marques de textiles et chaussures à relever le défi de l’éco-conception (ici).

Grâce à Laurence, nous en savons maintenant un peu plus sur la fin de vie de nos textiles et l’importance que peut représenter l’éco-conception de ces produits pour cette étape du cycle de vie.
Bien que l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) d’un textile focalise les impacts sur les phases de production et d’usage, toutes les étapes du cycle de vie nécessitent d‘être prises en compte dans une démarche d’éco-conception. De plus, l’ACV est un outil avec ses spécificités qui nécessite d’être complété par d’autres, pour obtenir une vision plus globale du cycle de vie et des bénéfices environnementaux induits par l’éco-conception.

Répondez au sondage !
Quels outils d’éco-conception adaptés au secteur textile connaissez-vous ?

Un grand merci à Laurence Ermisse de Refashion pour sa disponibilité ainsi que pour avoir partagé ses connaissances et fait part de son expérience sur le sujet.

Clara Barry
Ingénieure en éco-conception, animatrice du projet Eco-textile

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