Eco-service #11 : Loïs Moreira répond à 9 questions sur l’éco-conception des services.

Eco-service #11 : Loïs Moreira répond à 9 questions sur l’éco-conception des services.

Loïs Moreira répond à 9 questions sur l’éco-conception des services.

Pourquoi avoir lancé un projet d’étude sur l’éco-conception des services dès 2012 ?

Cela faisait trois ans que je travaillais au Pôle éco-conception, et durant cette période j’étais intrigué de voir toutes les définitions afférentes à la notion de « produit et service ». Je constatais que beaucoup retranscrivaient ces définitions dans leurs interventions publiques. Mais dans les faits, je ne voyais jamais d’exemple, ni même de conférence, ou bien toute littérature sur le sujet. Quand j’interrogeais les spécialistes de l’éco-conception, je ne trouvais pas de réponse précise non plus. J’ai donc voulu approfondir la question pour me constituer ma propre opinion, comprendre si les spécificités des services étaient suffisantes pour justifier une démarche différente de celle existante pour les produits. Ce premier guide en 2012 m’a permis d’être plus alerte sur ce sujet les années suivantes.


Qu’est ce qui a changé en 2020, pour rédiger un second guide sur le sujet ?

En réalité, la réactivation du projet remonte à 2015, avec la nouvelle version de la norme de management ISO 14001 et l’intégration de la notion de perspective du cycle de vie dans une logique d’amélioration continue. A cette époque, le Pôle Eco-Conception est monté en compétence sur ce sujet en réalisant le soutien technique d’une dizaine d’entreprises dans le cadre d’une action collective grâce à Nadège Van Lierde. Cette action a débouché sur la rédaction d’un guide sorti fin 2018. Les entreprises certifiées ISO14001 sont pour un certain nombre des sociétés de service, ce qui pose la question de leur cycle de vie. Au-delà de répondre à des exigences normatives de système de management environnemental, j’ai voulu réactiver le projet pour guider les entreprises de services à entamer leur conversion écologique, plus en lien avec les spécificités des services. A ce moment-là, nous commencions à être sollicités par des sociétés de service se questionnant sur la mise en œuvre de notre premier guide de 2012.  

La rédaction du guide en elle-même a commencé début 2018 avec un groupe d’étudiants de l’INSA Lyon et un premier stage à l’été 2019. Ces travaux m’ont permis de mûrir le concept pendant un an puis de lancer la rédaction définitive du guide grâce à un second stage avec Alan Le Rouzic durant l’été 2020.


La littérature associant « Eco-conception et service » existe pourtant, à travers l’économie de la fonctionnalité, les modèles PSS ou l’éco-conception de service numérique ! Qu’en pensez-vous ?

L’économie de la fonctionnalité et les modèles PSS veulent convertir les entreprises manufacturières basées sur la vente de leurs produits à des sociétés de service, proposant des services associés à leurs produits. Le principe environnemental est induit par une potentielle mutation des cahiers des charges des produits vers une plus grande durée de vie et un usage plus intensif. Mais ces concepts ne s’adressent toujours pas aux sociétés de services,  restant donc à l’écart de la logique d’éco-conception.

Quant à l’éco-conception de service numérique, c’est un outil utile à la mise en place de certaines stratégies d’éco-conception dans l’univers du service. Mais un service numérique n’est pas un service à part entière, il est une interface du service avec les clients. Le numérique est « au service d’un service ». Par exemple, l’éco-conception de service numérique va chercher à optimiser un site internet de vente en ligne, alors que l’éco-conception de service va chercher à optimiser l’ensemble du service de vente en ligne, dont le sujet du numérique n’est qu’une partie de l’équation. Cela va donc inclure bon nombres d’autres enjeux au-delà du numérique.


Produit ou service ? Selon vous, quelles sont les  différences fondamentales ayant une influence sur la méthode d’éco-conception des services ?

Il existe de nombreuses différences entre produit et service, c’est d’ailleurs pour cela que nous estimons qu’il est important de développer des démarches d’éco-conception spécifiques pour les services. Pour moi, c’est l’interaction du service avec les clients qui est primordiale ! C’est la raison même qui nous a incités à créer une nouvelle étape du cycle de vie par rapport à notre vision de 2012, l’étape de « promotion, accueil et mise en relation ». En effet, un service se juge sur l’expérience vécue, et nous considérons que l’éco-conception doit faire partie de cette expérience. Nous proposons 3 composantes complémentaires : l’éco-conception des supports d’interaction, l’optimisation du processus d’échange d’informations et l’influence des informations sur le reste du cycle de vie. Cette dernière composante place le client au cœur du processus d’éco-conception grâce à une logique de « micro-dimensionnement » de chaque service unitaire.


Finalement les impacts sont bien liés à des enjeux matériels ! Pourquoi ne pas simplement éco-concevoir les biens matériels nécessaires au service ?

Cette vision n’est pas complètement fausse ! L’ensemble des enjeux matériels sur l’ensemble du cycle de vie du service génère des impacts sur l’environnement. Ceux-ci soulèvent une question : quelle est la capacité d’une société de service à éco-concevoir ses consommables et ses amortissements ? En réalité, cette capacité reste faible. Alors, peut-on dire que l’éco-conception de service se limiterait à réaliser une politique d’achat responsable ? Là aussi, l’approche me parait réduite, et ne s’adresse pas vraiment aux concepteurs de services, et l’ensemble de leurs liberté de décision sur le dimensionnement d’un service pouvant avoir des conséquences sur l’environnement. Pour moi, cette vision centrée sur les biens matériels présente l’inconvénient de ne pas intégrer les clients au cœur du processus d’éco-conception, en oubliant la finalité de l’existence même du service. Au-delà de ces aspects, l’enjeu réside dans l’appropriation de la démarche d’éco-conception par les sociétés de service et dans la meilleure intégration de la question environnementale à la proposition de valeur du service en lui-même. L’appropriation de la méthode est une question d’adaptation aux spécificités du secteur d’activité, mais aussi plus simplement de vocabulaire.


Alors, qui est le plus apte à mener à bien une démarche d’éco-conception dans les services ?

La question n’est pas tant « qui », mais quelle sont les compétences et connaissances nécessaire pour mener à bien le projet d’éco-conception d’un service ? Je ne crois pas à l’existence d’une personne providentielle, capable d’intégrer toute la complexité et toutes les dimensions liées à la réussite d’un service. D’autant plus que cette personne devra aussi maîtriser tous les concepts liés à l’éco-conception des produits. Seule une équipe pluridisciplinaire pourra mettre en œuvre ces réflexions d’éco-conception à l’échelle d’un service unitaire, une équipe dans laquelle chacun jouera son rôle.

Le designer de service : il apportera son expertise en conception de service, les conditions de réussite, il replacera l’approche dans un modèle économique, et sera vigilant à l’expérience vécue par les futurs clients. Il aura un rôle déterminant pour amplifier le caractère innovant de la démarche d’éco-conception.

L’éco-concepteur de produit : il apportera son expertise sur le cycle de vie des consommables et des amortissements, il sera garant de la performance environnementale de chaque solution proposée pour améliorer le service vis à vis des biens matériels, mais aussi des processus de fonctionnement et des « micro-dimensionnements ». 

Les acheteurs éco-responsables : Ils ne maîtrisent que rarement la conception des produits, ils doivent rechercher des fournisseurs capables de leurs proposer des solutions de consommable, d’amortissement, ou de sous-traitance de service, intégrant de la performance environnementale. Leur rôle sera de challenger ou d’influencer les offres sur des critères d’écoresponsabilité, définis avec les spécialistes de l’éco-conception de produit.

Le service RSE : Il est le garant de la performance sociale et environnementale de l’entreprise dans son ensemble. Le service RSE peut être à l’initiative de la démarche d’éco-conception d’un service unitaire de l’entreprise, afin de rattacher les objectifs RSE au modèle économique de l’entreprise et de donner du sens à la démarche auprès des collaborateurs.


Vous mentionnez dans votre guide que la méthode générale que vous avez développée n’est pas suffisante pour une appropriation de la démarche, cela veut dire que votre méthode ne sert à rien ?

En réalité, il existe une multitude de services fonctionnant tous très différemment, et la méthode générale reste très théorique au regard de cette diversité. Nous ne pouvons pas avoir une méthode valable pour les coiffeurs ou pour le commerce en ligne étant directement applicable de la démarche générale. Il faut un traducteur, ce qui veut dire développer ces approches sous-sectorielles des services, traitant du cycle de vie spécifique du service en question, son vocabulaire, ses stratégies d’éco-conception directement applicables, des exemples sectoriels et la mise en place d’indicateurs adaptés. L’enjeu ici, c’est l’appropriation de la démarche par sous-secteur. C’est un sujet capital, propre à la réussite d’une démultiplication de la démarche de l’éco-conception dans le secteur des services ; un sujet que j’ai déjà évoqué précédemment.

Ici, il est intéressant de réaliser le parallèle avec l’approche produit, il y a une méthode générale d’éco-conception avec des principes de base, qui sont ensuite déclinés par type de produit, comme l’ameublement, l’emballage, l’agroalimentaire, … car la méthode générale n’est pas suffisante pour une appropriation sectorielle de la démarche. En avoir conscience, dès le début pour les services, permettra de rattraper plus rapidement le retard de maturité des services au sujet de l’éco-conception.


Selon vous tous les services éco-conçus atteindront le même niveau de maturité, ou existera-t-il des niveaux différents à l’image des 4 niveaux que l’on voit régulièrement sur les produits ?

NON, tous les services éco-conçus ne seront pas équivalents en termes de maturité et de performance environnementale. L’intégration de la composante environnementale va s’avérer très variable entre le positionnement très volontariste de certains acteurs et les suiveurs. De plus, chaque sous-secteur de service n’aura pas les mêmes marges d’action.

Dans notre guide, nous proposons une lecture « servicielle » de ces 4 niveaux d’éco-conception. Il me semble qu’au-delà de l’application de la méthode d’éco-conception, il faut aussi savoir « s’auto-évaluer », et comprendre ses propres marges de progrès. De plus, cela apporte une certaine visibilité de pouvoir identifier l’ambition que l’on se donne au démarrage d’un projet, surtout lorsque l’on débute une démarche aussi innovante.


A vous entendre nous sommes au début de l’histoire de l’éco-conception des services, comment imaginez-vous la suite ?

L’éco-conception des produits a plus de 60 ans d’histoire et reste encore dans sa pratique assez marginale dans les entreprises. Si nous voulons intégrer cette dimension d’urgence environnementale, le secteur du service devra rattraper son retard de façon beaucoup plus rapide, d’autant plus que beaucoup d’entreprises manufacturières sont dépendantes des décisions des sociétés de services dans l’élaboration des cahiers des charges de leurs produits (les consommables et les amortissements).

Il est nécessaire que le sujet de l’éco-conception des services se démocratise plus rapidement, notamment en investissant toutes les approches sous-sectorielles, en les dotant de guides méthodologiques, d’outils et de stratégies prêtes à l’emploi. 

Les institutions ont aussi leur rôle à jouer pour extraire ce nouveau sujet de la marginalité. J’ose croire en la prise de conscience de nos sociétés et espérer que le caractère contextuel d’urgence va faire évoluer les pratiques des services bien plus rapidement que ce fut le cas pour les produits.

Vous pouvez retrouver les précédents articles sur la page « Service » de notre site web :

POUR EN SAVOIR PLUS SUR L'ECO-CONCEPTION DES SERVICES 

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Auteur de la page
Marion Gallet

Assistante de communication

Modérateur
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