L'histoire de l'éco-conception : 1990-2000, la "French (eco)Touch"

1990-2000, la "French (eco)Touch"​

1990, l’avènement de l’évaluation environnementale quantitative

La première analyse d’impacts environnementaux a été réalisée pour le compte de Coca-Cola en 1969. Cette étude pionnière visait à comparer les impacts des emballages du géant du soda, bouteilles de verre consignées et contenants jetables en plastique et en métal, sur leur cycle de vie. Dans les années qui suivent, les rares évaluations environnementales réalisées portent-elles aussi sur les emballages, contributeurs visibles de la production de déchets. Cette pollution nouvelle et particulièrement ostensible du fait d’une gestion se résumant principalement à une mise en décharge, est probablement la plus préoccupante pour les consommateurs de l’époque.

Bien que l’évaluation environnementale ait été initiée aux États-Unis, elle se développe peu outre-Atlantique durant les années 70. C’est dans les années 80 en Europe du Nord que l’approche connaît un nouvel essor et qu’une communauté scientifique s’agrège autour du sujet. Durant les années 90, la méthodologie évolue dans l’objectif de quantifier tous les impacts environnementaux pertinents afin d’être dans la capacité d’identifier, d’éviter ou faute de mieux d’arbitrer tous transferts de pollutions. Les systèmes de produits, leurs modélisations et la caractérisation de leurs impacts deviennent alors si complexes que la mise au point de logiciels et de bases de données spécifiques devient nécessaire .

En 1993, après une première tentative d’harmonisation des méthodes d’Analyse de Cycle de Vie  par la Society of Environmental Toxicology and Chemistry (SETAC [6]), un processus formel de normalisation est lancé par l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO). Il en résultera en 1997 la publication de l’ISO 14040, harmonisant la méthode d’ACV au niveau international, puis quelques années plus tard une série de normes détaillant la démarche. Il est intéressant de noter que la France, dès 1994, a été le premier pays à se doter d'une norme nationale sur les ACV (Cocorico ? !), ouvrage qui contribuera aux développements internationaux sur le sujet.

2000, premières définitions et normalisation de l’éco-conception

Les premières définitions de l’éco-conception apparaissent dans la littérature scientifique à la fin des années 1990, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. En 1996, le chercheur américain Fiksel définit l'éco-conception comme « un processus qui permet de développer un produit tout en répondant aux exigences de coûts, performances, qualité ainsi qu'aux caractéristiques environnementales du produit en intégrant les aspects environnementaux dans le processus d'ingénierie de conception du produit » .

En 1997, le chercheur et enseignant néerlandais Han Brezet, publie une seconde définition de l’éco-conception, démarche qu’il décrit comme devant « prendre en compte les aspects environnementaux à tous les stades du processus de développement des produits, en s'efforçant d'obtenir des produits dont l'impact environnemental est le plus faible possible tout au long du cycle de vie du produit » .

Dans la définition de Fikslel, l’éco-conception est un processus de développement de produit qui doit intégrer les aspects environnementaux, aux mêmes titres que les autres contraintes qu’implique la conception d’un produit. Celle de Brezet précise que cette prise en compte des aspects environnementaux doit se faire sur l’ensemble du cycle de vie du produit, avec pour objectif d’obtenir l’impact environnemental le plus faible.

Ce qui est sous-entendu dans cette définition, c’est que « tout produit est source d’impact » et que la démarche d’éco-conception est là pour les limiter au maximum.

Quelques années plus tard, la définition et la démarche sont normalisées dans une première norme internationale sur l’éco-conception, l’ISO 14062 publiée en 2002. Cette norme décrit les concepts et les pratiques mis en œuvre (à l’époque) permettant d’« intégrer les aspects environnementaux dans la conception et le développement de produit », le terme « produit » s’entendant à la fois pour les biens matériels et les services. On peut une nouvelle fois relever le fait que la France est pionnière : en 1998 le premier fascicule de documentation sur le sujet de l’éco-conception est rédigé et détaillé dans une norme nationale (? bis repetita !). Ce document servira de base à la rédaction de la future norme internationale ISO 14062, rédaction dont l’ADEME, établissement public français, a assuré le secrétariat.

2003, l’intégration à l’éco-conception de l’humain et du sensible grâce au design

Durant les années 2000, et aujourd’hui encore, une étiquette ingénieriste de l’éco-conception, comme simple méthode de résolution de problèmes environnementaux, colle à la démarche. L’éco-conception a longtemps été cantonnée à son aspect proprement méthodologique d’optimisation des impacts environnementaux des produits (ou des services).

Pourtant en 2003, l’ouvrage Il y aura l’âge des choses légères  dirigé par Thierry Kazazian, designer français fondateur de l'agence O2 France, a marqué le milieu de l’éco-conception et du design.

Influencées par Victor Papanek, qui a joué un rôle précurseur à la Domus Academy à Milan où a étudié Kazazian, les réflexions du designer sur une économie et une société plus "légères" peuvent être affiliées à la pensée de Nicholas Georgescu-Roegen ou à celle d'Ivan Illitch. À travers cet ouvrage manifeste qui conjugue design et prospectives, Kazazian a fait prendre conscience à une génération de designers l'importance de leur métier face aux enjeux environnementaux et du rôle du design dans des propositions de futurs plus souhaitables, durables et désirables.

L’éco-conception comme (ré)conciliation du design et des enjeux environnementaux

Un demi-siècle après la parution de l’ouvrage de Victor Papanek qui dessinait un portrait peu reluisant du métier du design et mettait les designers face à leur responsabilité environnementale, l’œuvre de Thierry Kazazian - à travers le livre  Il y aura l’âge des choses légères et l’agence O2 France qu’il a fondée et qui mêlait ingénieurs environnement et designers - propose une voie de (ré)conciliation entre ces deux professions.  Le design et l’ingénierie de l’environnement sont deux métiers très complémentaires tant au niveau de la pratique qu’au niveau des praticiens.

En pratique sur projet, l’ingénieur environnement est capable de mesurer sur le cycle de vie d’un produit, les impacts générés sur l’environnement, de les hiérarchiser et d’en identifier les origines. Le designer, après avoir requestionné le produit aux regards des besoins auxquels répond ce dernier, de son usage et de ses fonctions, génèrera des solutions pour en réduire les impacts. Il pourra proposer des matières alternatives (si les enjeux environnementaux portent sur les matériaux), repenser l’usage du produit (si la phase d’utilisation est impactante), voire redessiner et reconcevoir complètement le produit pour en augmenter sa durée de vie, sa réparation ou en faciliter son démantèlement en fin de vie.

À l’échelle du praticien, lorsque le designer se met au service de l’ingénieur environnement, il contribue à transformer l’expertise de ce dernier, ses analyses, histogrammes et autres graphiques en actes, allant ainsi au-delà du simple constat. À l’inverse, l’ingénieur environnement se met au service du designer pour l’aider à aller au-delà de ses propres intuitions et à s’assurer que ses choix font sens.

 Merci à Bjørn et à ses collaborateurs pour l’article LCA History , article très complet sur l’histoire de l’éco-conception.
Merci également à Anthony Boule, Florent Chalot et à Vincent Beaubois pour leurs apports à cet article et à Christophe Gilabert pour les illustrations.





François-Xavier Ferrari - Co-fondateur chez Coopérative Mu

Les contenus de ces pages ont été rédigés par François-Xavier Ferrari, Co-fondateur de la Coopérative Mu. Un grand merci pour ces textes qui retracent l'histoire de l'éco-conception.

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